Au Washington Post, on intègre les rédactions, pas les mentalités
Le groupe Washington Post tire l’essentiel de ses revenus d’activités de formation et d’une entreprise du câble à travers des filiales qui permettent aujourd’hui au média de financer sa transition numérique. Contrairement à l’objectif fixé il y a 4 ou 5 ans, il n’est plus question d’une vaste intégration de toutes les rédactions du groupe. Dans ce contexte, le M. Déontologie du WaPo (le surnom du Washington Post) explique comment sont prévenus et gérés les éventuels conflits d’intérêt. A l’ancienne.

La salle de rédaction du Washington Post (Photo : WaPo)
Le Washington Post a été, avec l’embauche de Rob Curley et de son équipe fin 2006, considéré comme l’un des journaux nationaux les plus innovants aux Etats-Unis. Le groupe, qui finance les activités déficitaires de ses journaux avec Kaplan, leader de l’éducation, et Cable One, une entreprise du câble, avait alors regroupé toutes ses activités web au sein de WashingtonPost.Newsweek Interactive. L’entité gérait les sites de Newsweek, Slate, du Washington Post, ainsi qu’une myriade de sites commerciaux.
Depuis, Rob Curley est parti en admettant à demi-mot son échec, et les rêves de méga-rédaction web du Washington Post se sont évaporés. La stratégie est désormais inversée, puisque chaque marque possède sa propre entité regroupant toutes ses activités. Newsweek.com est à vendre avec son alter ego en papier, Slate.com est géré par The Slate Group et washingtonpost.com a rejoint le quotidien papier, légalement et physiquement puisque les rédactions sont désormais intégrées.
Afin d’étudier comment cette intégration des deux métiers s’est effectuée, j’ai appelé la semaine dernière Milton Coleman, senior editor et responsable des questions d’éthique au WaPo.
Pour lui, l’éthique du Washington Post se résume à « maintenir la crédibilité du titre, son intégrité, et à séparer clairement les faits des opinions ». Pour ce faire, le journal cherche à éliminer les conflits d’intérêts à la racine. Pour prendre l’exemple de la politique, « 99,9% des journalistes n’ont aucune relation avec un parti », ce qui est censé garantir leur neutralité. Le millième restant, dont l’époux a peut-être partie liée avec un homme politique, discute en général avec son chef de service avant d’accepter un sujet sur lequel on pourrait sentir poindre un soupçon de conflit d’intérêt.

Milton Coleman (Photo : Michael Lutzky/Washington Post)
On est loin des pratiques constatées sur le web, où la transparence règne en maître. Même chez Slate.com (propriété du Washington Post Group), les auteurs préviennent leurs lecteurs lorsqu’un conflit d’intérêt peut être suspecté, en suivant le principe de full disclosure (voir des exemples).
Les principes du journalisme traditionnel tentent de survivre au WaPo. Pourtant, pas plus tard que la semaine passée, des critiques américains signalaient que le site avait embauché une blogueuse pour couvrir la Maison Blanche quand celle-ci travaillait… pour la Maison Blanche ! Le Washington Post a réagi rapidement, mais cet exemple souligne que les choses ne sont pas toujours aussi simples et que l’adaptation aux réalités des média en ligne n’est pas toujours évidente.
Les principes en vigueur sur le média papier, qui exigent que les contenus soient parfaits avant la publication, empêchent le Washington Post de développer une véritable politique d’échange avec les utilisateurs. Interrogé sur son rôle dans la gestion du contenu généré par les utilisateurs, Milton Coleman répond qu’il ne peut s’en occuper, étant donné que les commentateurs sont des « amateurs » sur lesquels le groupe « ne peut garder le contrôle ».
Résultat : les commentaires rasent les pâquerettes et les internautes ne participent que très peu à l’info… Le groupe a quand même tenté de se lancer dans l’info participative avec WhoRunsGov, une sorte de wiki sur les personnes influentes à Washington. Mais le cloisonnement entre ce mini-site et la rédaction du WaPo est tellement forte qu’aucun lien n’a été établi entre les deux.
Cet article est rédigé dans le cadre de la préparation du rapport « Quel est l’impact déontologique des nouveaux modèles économiques des médias ?« |
[…] Comme au Washington Post, les journalistes et la direction du Monitor ne se sont pas lancés dans une transformation des modes de travail sur le web, où ils conservent les traditions et les méthodes de l’imprimé… en espérant le retour à l’équilibre économique. […]