Au Guardian, une rédaction intégrée qui défend ses valeurs
Pragmatisme et dialogue. Tels pourraient être les deux mots qualifiant la réorganisation des rédactions du Guardian il y a dix-huit mois. A l’heure de prendre possession de ses nouveaux bureaux, le Guardian Media Group (GMG) a adopté la solution d’une rédaction intégrée, effaçant d’un coup de déménagement les barrières, tant idéologique que géographique, entre le monde du print et celui du 2.0.
Un mastodonte. Voilà l’image que renvoie le Guardian Media Group (GMG), perché dans ses bureaux flambants neufs du nord de Londres. Le groupe a pris possession des lieux au début de l’année 2009, un déménagement qui a coïncidé avec un revirement organisationnel. Le journal a profité du changement de locaux pour fusionner son service web —autrefois exilé à un étage différent— avec le reste de la rédaction. Le bâtiment flambant neuf a été conçu expressément pour le Guardian. « L’intégration géographique a été un élément clé de l’intégration des rédactions du groupe », m’assure Meg Pickard, la responsable du développement des médias sociaux de GMG.
Mais on ne manœuvre pas une institution vieille de 190 ans comme une start-up et la réforme de l’organisation du travail a dû prendre en compte la culture très forte du groupe. Indépendance, recherche de l’exclusivité, refus des compromis et une certaine intransigeance quant aux questions déontologiques sont les dénominateurs communs de la presse britannique « de qualité ».
Une seule charte éditoriale pour tous les journalistes
Les règles de l’exercice du métier de journaliste tel que le conçoit le Guardian sont d’ailleurs précises et disponibles à tous moment. La charte éditoriale du groupe est publiée sur internet et s’applique à tous les journalistes collaborant que groupe, quel que soit leur médias d’origine et tous sont garants de son respect. Une sorte d’auto-contrôle interne s’est mis en place, sans que la présence d’un « médiateur » ne soit jugée nécessaire.
Le passage à une rédaction intégrée ne s’est pas vraiment traduit par d’immenses changements dans l’éthique du travail, qui reste la même. En revanche, il a lancé de nombreux défis, tant intellectuels qu’organisationnels et ne s’est pas fait sans quelques « résistances », admet pudiquement Meg Pickard.
Depuis le début de l’année 2009, tous les journalistes du Guardian sont susceptibles d’écrire pour le print ou le web, et le plus souvent pour les deux médias à la fois. Pour Meg Pickard, une fois une période de formation intense passée, la direction a dû « réfléchir à la façon dont les journalistes allaient occuper leur temps ». « Au final, la rédaction intégrée ne demande pas plus d’heures de travail, elle a, en revanche, rendu le travail des journalistes plus complexe et leur demande une implication plus importante », reconnaît Meg Pickard.
Sur le papier, les journalistes répondent à des questions; sur le web, ils les posent
Au-delà de la maîtrise de nouveaux outils, c’est toute la philosophie de la transmission d’information qui a dû être revue : « sur le papier, les journalistes sont là pour répondre à des questions, tandis que sur internet, leur rôle est plutôt de les susciter », explique Meg Pickard. Comme partout, la place accordée aux lecteurs a été une question récurrente, voire difficile pour certains.
La responsable du développement de médias sociaux estime que dans l’ensemble, les journalistes ont apprécié d’expérimenter de nouvelles façons de communiquer et d’informer. Le projet « Blogging the qur’an » résume à lui seul la possibilité de débat éclairé qu’offre internet à un média comme le Guardian. Sur ce blog, un verset du Coran est commenté et discuté chaque semaine sous la houlette d’un érudit musulman et d’une journaliste. Ce dispositif a permis un véritable échange avec les lecteurs. Débat qui ne pourrait se tenir dans les pages d’un quotidien papier pour des raisons évidentes d’espace.
Une indépendance jamais remise en question
Cette utilisation des blogs comme support pour des « projets » a également un avantage certain d’un point de vue de la publicité. De par la richesse et la variété de ses contenus, GMG a créé de petites communautés de lecteurs particulièrement fidèles. Le site admet recueillir les données personnelles de ses internautes, mais ne les commercialise pas. En revanche, il ne s’interdit pas de les utiliser en interne pour affiner le profil de ses lecteurs et proposer des solutions de publicité quasi sur-mesure à ses clients.
GMG reste en effet dans un modèle économique plutôt traditionnel, principalement financé par la publicité. Mais la question de sa dépendance vis-à-vis des annonceurs a été posée il y a plusieurs dizaines d’années. Le Guardian a longtemps été la propriété de la Scott Trust, une fondation sans but lucratif formée par la famille Scott, propriétaire historique du Guardian. Celle-ci assurait l’indépendance du titre. Mais des craintes sur la sécurité future du titre ont poussé les dirigeants de Scott Trust à transférer tous leurs actifs dans une nouvelle structure : Scott Trust Limited. Outre la dénomination administrative du propriétaire du Guardian, rien n’a changé. Les dirigeants ont conservé leur place et Liz Forgan (« Dame » Liz Forgan, comme le veut son titre de noblesse) a pris la tête du conseil d’administration de la nouvelle entité.
Des comptes dans le rouge depuis des années
A cette époque, les dirigeants de Scott Trust ont assuré les journalistes du Guardian que leurs conditions de travail resteraient les mêmes. Jusqu’à aujourd’hui, cela semble avoir été le cas. Et la Scott Trust Limited, qui possède plusieurs autres organes de presse, n’a pas hésité à soutenir son quotidien phare, dont les comptes sont dans le rouge depuis plusieurs années (perte brute de 171 millions de livres pour l’exercice 2009/2010, mais « seulement » 32,6 53,9 millions de livres de perte opérationnelle).
Seul point surprenant pour un observateur extérieur : le Guardian s’autorise tout de même des sponsors pour financer quelques projets spécifiques, à tonalité plus humanitaires. Ainsi, sur pour « Katine », le groupe s’est associé à deux ONG pour relater des problèmes de développement d’un village en Ouganda; le tout financé en partie par la banque Barclays, et ce, en pleine crise financière.
A ma question sur un éventuel conflit d’intérêt pour la rédaction, Meg Pickard a été surprise. « Pourquoi y aurait-il un conflit d’intérêt, il est clair que pour Barclays, il s’agissait d’une entreprise de relations publiques, mais cela nous a permis de faire notre travail d’information et cela n’a certainement pas empêché les journalistes du service économique de sortir des informations potentiellement dérangeantes pour la banque et Barclays le savait bien ». Chacun son travail, chacun son intérêt, c’est peut être ça le pragmatisme british.
Cet article est rédigé dans le cadre de la préparation du rapport « Quel est l’impact déontologique des nouveaux modèles économiques des médias ?« |
Peut-être faut-il supprimer les deux derniers paragraphes ? 😉
@Pierre
Pourquoi?
@couve @pierre
Pierre, je trouve justement que ce sont les plus intéressants. Parce qu’ils touchent un vrai questionnement déontologique, et finalement, lèvent un peu l’hypocrisie existente (je ne dis pas que c’est bien ou mal, ca a le mérite de soulever le débat)
Finalement, n’est-on plus transparent en collaborant avec une ONG et avec le sponsoring d’une grosse boite, et en le disant clairement aux lecteurs, qu’au travers un financement par page de pub ou tu sais pas trop quelles contreparties sont derrière…
Evidemment, dans un monde idéal, les lecteurs paieraient pour l’info et les rédactions enverraient bouler les annonceurs…
Pour info, « Au Guardian, l’intégration des équipes rédactionnelles » : http://wp.me/pHhNF-4p
Merci de cet article ! Il est très intéressant de voir comment fonctionne une rédaction telle que celle du Guardian. En tout cas, il est clair que la question de l’indépendance des journaux sera toujours remise en cause …
[…] Marion Senant avait évoqué le cas du Guardian en septembre 2010 dans le cadre du rapport sur les modèles économiques des médias. Partager / […]