ProPublica: de riches mécènes et une charpente déontologique

Paul Steiger, le PDG de ProPublica (Photo: IFJ10 via Flickr)

Le site internet annonce sobrement la couleur: « ProPublica, journalisme d’intérêt public« . Même s’il ne dispose pas encore d’article Wikipédia en français, on ne présente plus ProPublica. Le site d’investigation a été lancé par Paul Steiger , ancien directeur du Wall Street Journal, grâce aux fonds d’un couple de milliardaires de la finance à la retraite, les Sandler. Leur fortune vient de la Golden West Financial, un établissement de crédit considéré comme un plus honnête que la moyenne puisqu’il n’a pas participé directement à la folie des subprimes.

Les millions de dollars versés par le couple depuis la création du site fin 2007 ont permis à Steiger et sa bande de multiplier les enquêtes, qu’ils offrent ensuite aux médias traditionnels. Les chiffres annoncés sur le site font état de 138 articles partagés de la sorte en 2009. Parmi ceux-ci, une enquête sur les activités du Memorial Hospital après le passage de l’ouragan Katrina à La Nouvelle Orléans lui a valu son premier prix Pulitzer.

Une enquête qui remporte le prix Pulitzer.

Pour en savoir plus sur les activités du site et leur rapport à l’éthique journalistique, j’ai appelé Mike Webb, directeur de la communication chez ProPublica.

Des stagiaires rémunérés 700 dollars par semaine

Le couple Sandler continue à financer ProPublica à hauteur de 70%, la Knight Foundation apportant quant à elle 20% du total. Le site s’est néanmoins doté d’une fundraising manager, chargée de trouver de nouveaux donateurs. Alors que l’on s’aperçoit que les médias français ne rechignent pas à demander quelques millions au gouvernement, ProPublica n’a jamais demandé de subventions publiques et n’en demandera jamais. Ce refus des subsides d’Etat peut sembler évident aux Etats-Unis, mais les mentalités évoluent à mesure que les comptes des journaux s’enfoncent dans le rouge. Le président de la très prestigieuse université de Columbia demandait récemment à ce que le gouvernement fédéral viennent au secours de la presse.

Ce mode de financement n’empêche pas ProPublica d’afficher une lourde perte : deux millions de dollars pour 2009 après un résultat net positif de deux millions en 2008. Ce résultat a fait démarrer ProPublica avec 1,7 million dans les caisses, sans pour autant avoir limité son cycle de développement. Le site a en effet embauché 3 nouveaux journalistes en juin dernier avec des salaires alignés sur la grille du Wall Street Journal. Même les 8 stagiaires sont rémunérés 700 dollars la semaine !

Une charte déontologique de 7 pages à re-signer tous les ans

Après une vingtaine d’interviews, nous étions prêts à théoriser que plus un média s’éloigne des modèles économiques et déontologiques traditionnels (‘muraille de Chine’ entre éditorial et marketing, flux de revenus connus et sûrs), plus il devient transparent. La culture de la transparence viendrait compenser les multiples conflits d’intérêts qui ne manquent pas de surgir lorsque les journalistes s’impliquent du côté business.

Pourtant, ProPublica fonctionne exactement comme un média traditionnel. Les journalistes ne sont que journalistes. S’impliquent-ils de temps à autres dans les activités de financement ? La question vexe presque Mike.

Ils sont tenus signer une charte déontologique de 7 pages lors de leur embauche, et de la re-signer tous les ans après ça. La charte, inspirée de celle du Wall Street Journal et du Washington Post, n’a pas peur des détails. Elle prévoit dans quelles circonstances les journalistes ont le droit d’échanger des produits dérivés sur les marchés, d’accepter des cadeaux et de participer à des activités en dehors de ProPublica. « Pas besoin de police de l’éthique pour les appliquer », explique Mike, « le niveau de confiance est tel qu’aucun conflit lié à la charte n’est encore apparu ».

Dans la même veine, le site exige que les articles soient les plus neutres (fair) possible, poursuivant le culte de l’objectivité à l’heure où d’autres rédactions ont décidé d’assumer leurs biais idéologiques. Quant à la conversation avec les utilisateurs, les journalistes d’investigation laissent le soin aux 4 membres de l’équipe web de s’en charger et de modérer les commentaires.

Objectivité, séparation entre les articles et la conversation ainsi qu’entre le business et le journalisme : trois éléments qui rappellent fortement la presse traditionnelle.

Malgré cette discipline déontologique digne des plus prestigieux quotidiens américains, ProPublica joue la transparence totale, en publiant sur le site ses comptes annuels. « Nous exigeons de la transparence de la part des institutions sur lesquelles nous enquêtons ; il est normal que nous appliquions à nous-mêmes ce que nous réclamons aux autres », dit en substance Mike.

D’après lui, les journalistes issus des médias traditionnels n’ont eu aucun mal à effectuer la transition vers cette culture de la transparence. Certaines dents ont grincé en constatant que les salaires seraient publiés, mais, dans l’ensemble, tous ont compris la nécessité qu’il y avait à s’ouvrir.

« A l’exception des contenus de nos enquêtes, nous n’avons rien à cacher », poursuit-il. Le prenant au mot, je lui ai demandé le détail des 8 000 dollars de la ligne ‘autres revenus’ du rapport annuel. Sans réponse jusqu’à présent.

Cet article est rédigé dans le cadre de la préparation du rapport « Quel est l’impact déontologique des nouveaux modèles économiques des médias ?«