Citizenside : les professionnels du contenu amateur

Citzenside est née en 2006 comme une agence de presse spécialisée dans le recueil de photos et vidéos amateurs en lien avec l’actualité. Seule sur ce créneau il y a quatre ans, elle doit aujourd’hui se repositionner au moment où les médias traditionnels ouvrent largement leurs bras aux contenus amateurs.

L’idée de Citizenside a germé le 7 juillet 2005 à Londres. Ce jour-là quatre attentats simultanés frappent les transports publics dans la capitale britannique et notamment le métro. Aussitôt bouclés par la police et les secours, les quais du fameux tube londonien sont inaccessibles aux journalistes. Les images de l’événement seront prises par des témoins, —de simples usagers du métro— et elles feront la une des quotidiens et l’ouverture des journaux télévisés.

Pour Matthieu Stefani, c’est un déclic: « J’habitais à Londres lors des attentats de juillet 2005, et pour la première fois, la BBC réclamait des vidéos et des photos à ses telespectateurs, sans rémunération ». De retour en France, il commence à travailler avec Philippe Checinski et Julien Robert sur un projet de création d’entreprise qui deviendra Scooplive en mai 2006.. Ils ont la trentaine et leur start-up se définit comme une place de marché sur laquelle les amateurs proposent leurs photos que les médias peuvent acheter.

Scooplive deviendra Citizenside en 2007. A cette occasion l’AFP (Agence France presse) entre à hauteur de 34% dans le capital où elle rejoint parmi les actionnaires d’anciens pontes de la télévision (Xavier Gouyou-Beauchamps, ancien président de France Télévision, et Pascal Josèphe, consultant et ancien bras droit d’Hervé Bourges à la présidence de TF1) présents depuis l’origine avec 26% des actions. Pour leur part, les trois créateurs de l’entreprise contrôlent aujourd’hui encore 40% du capital.

L’agence de presse des amateurs

Le site affiche clairement ses objectifs : « Citizenside a pour but de créer la plus grande communauté de reporters amateurs et/ou indépendants. Tout le monde peut partager sa vision de l’actualité, avec ses photos et ses vidéos.» Grosse différence par rapport à beaucoup de sites qui sollicitent des contenus amateurs : une possible rémunération. Le photographe amateur peut percevoir de 50 à 65% du prix de vente de ses images par Citizenside. Il peut également se voir garantir l’anonymat, s’il le souhaite.

Une partie de l'équipe de Citizenside

Son premier « gros coup », Citizenside le réalise avec des images de Jérôme Kerviel entendu dans les locaux de la brigade financière au moment où éclate le scandale de la Société générale. La seule image disponible du trader était jusque là celle de son profil Facebook. A ce jour, cette vidéo assez sombre —achetée notamment par Paris-Match— reste la meilleure vente réalisée auprès des médias.

Citizenside se positionne en premier lieu comme une agence de presse photographique. Elle passe des contrats avec certains médias pour leur proposer l’ensemble de la « production » et négocie au coup par coup avec d’autres lorsqu’il s’agit de documents ayant une valeur exceptionnelle. Ses relations avec l’AFP font également qu’une partie des images récoltées chaque jour trouve sa place sur le fil photo de l’agence.

Une technologie et un savoir-faire pour détecter les retouches et les manipulations

Au total, ce sont plusieurs centaines de photos et vidéos qui arrivent chaque jour sur les serveurs de l’entreprise. Des images (photos et vidéos) proposées par une communauté de 60 000 inscrits dont 10 000 environ sont véritablement actifs. Dans ce flot, beaucoup de manifestations locales (culturelles ou sportives notamment) et de photos de personnalités people (issues de la télé-réalité très souvent) ainsi que quelques faits divers. Chacune des images est vérifiée par un journaliste avant d’être mise en ligne ou proposée à des médias.

Pour faire face à un tel volume de travail de vérification, Citizenside à développé des méthodes et des outils spécifiques qui lui permettent de détecter très rapidement

  • si une image est passée par un logiciel de retouche et quel type de retouche a été effectué (seulement le réglage contraste/luminosité ou plus);
  • si la localisation de la personne qui envoie la photo correspond à l’endroit où l’image est supposée avoir été prise;
  • si la date de la prise de vue correspond avec celle annoncée par l’internaute.

D’autres critères plus techniques sont également pris en compte auxquels vient s’ajouter l’expérience et l’expertise des membres de l’équipe. A force d’étudier les cas de détournements d’images constatés sur le Net, ils sont devenus de véritables experts qui transmettent leur savoir-faire au cours de sessions de formation destinées aux journalistes de médias traditionnels. Citizenside joue également un rôle d’alerte auprès de ses clients médias lorsqu’elle voit apparaître —sur le Net notamment—des images qu’elle soupçonne avoir été manipulées.

Une entreprise lourdement déficitaire

Lorsque l’on se penche sur le modèle économique encore balbutiant de l’entreprise, on constate qu’elle est encore lourdement déficitaire. Elle prévoit 300 000 € de pertes en 2010 pour 500 000 € de chiffre d’affaires.

On constate également que la revente d’image ne constitue que 20% des recettes. La formation en direction des médias ou des collectivités territoriales apporte encore 20% des revenus. La majeure partie des recettes (60%) provient de la revente de la technologie et du savoir-faire développé par Citizenside.

Ainsi lorsque le quotidien gratuit Metro, la radio RTL, le quotidien Le Parisien et d’autres développent sur leurs sites internet des services qui proposent à leurs fidèles de leur adresser des photos et des vidéos d’événements dont ils sont les témoins, c’est la technologie Citizenside qui tourne derrière et ce sont parfois également les équipes de Citizenside qui assurent la vérification des contenus adressés par les internautes.

Sur son propre site qui comptabilise 100 000 visiteurs uniques mensuels (source: Google Analytics), Citizenside a mis en place quelques publicités délivrées par la régie publicitaire de Google et cherche à développer la publicité sur les vidéos fournies par les internautes. Toutefois, pour l’instant, la ressource publicitaire demeure symbolique. les sites proposant de l’UGC (User generated content / contenu produit par les utilisateurs) inspirent toujours des réticences aux annonceurs et aux régies publicitaires classiques.

Les questions déontologiques quotidiennes concernent le respect de la vie privée

Même si les journalistes sont très minoritaires au sein de l’équipe : 2 sur 10 salariés, Citizenside affirme le caractère journalistique de son travail et assure se référer à la Charte de Munich en matière de déontologie. Au quotidien, les questions récurrentes concernent le respect de la vie privée. Sur ce point, la loi fixe le cadre général et pour le reste, l’équipe évalue les risques de procès au coup par coup. En général, les photos qui risquent de porter atteinte à la vie privée ne sont pas diffusées par Citizenside sur son site. Ce qui n’empêche pas l’entreprise de remplir son rôle d’agence de presse en les proposant aux médias qui figurent parmi ses clients. A charge pour ces derniers d’en assumer le risque en cas de publication.

Sur toutes ces questions de déontologie, l’expérience a conduit à l’élaboration d’un guide interne que l’équipe partage et enrichit régulièrement. Il s’agit également de fournir aux nombreux stagiaires un cadre de référence sur ce qui se fait et ce qui ne se fait pas sur Citizenside. « D’une certaine manière, le fait que l’AFP soit l’un de nos principaux actionnaires nous contraint absolument au professionnalisme et à la rigueur », explique Matthieu Stefani, l’un des fondateurs. L’équipe sait également que nombre de journalistes ne voient pas son activité d’un bon oeil et qu’en cas de dérapage on ne lui fera pas de cadeau.

Les grands médias font désormais appel à des contenus amateurs

Chez Citizenside, on se souvient aussi de ce journal hyperlocal de la région parisienne qui avait commandé un module pour son site internet afin de permettre à ses internautes d’envoyer des photos ou des vidéos. Las, l’expérience a fait long feu. La mairie de l’endroit a fait pression sur le journal dès qu’un administré a envoyé des photos pour se plaindre des nouvelles poubelles qu’il jugeait « atroces ». « Dans le monde des collectivités locales, on découvre les réalités du participatif », constate ironiquement Matthieu Stefani.

Après 4 ans d’existence, Citizenside est encore à la recherche de son modèle économique. Lancée comme l’agence de presse des amateurs, l’entreprise s’est finalement repositionnée sur la vente de sa technologie et de son savoir-faire. Il faut dire que dans l’intervalle, beaucoup de grands médias traditionnels on compris le parti qu’ils pouvaient tirer de l’exploitation du contenu amateur jusqu’à CNN avec son service iReport qui constitue désormais une part déterminante de son offre en ligne exploitée également sur la chaîne de télévision.

Cet article est rédigé dans le cadre de la préparation du rapport « Quel est l’impact déontologique des nouveaux modèles économiques des médias ?«