Congo Blog Ba Leki : réinventer le journalisme et son économie au Congo
Né d’un blog en 2005, le projet Congo Blog Ba Leki animé par Cédric Kalonji est devenu un média avec une rédaction de 8 journalistes et 5 dessinateurs de presse disséminés à travers ce pays grand comme quatre fois la France. Objectif : renouveler le journalisme tel qu’il se pratique dans le pays. Nécessité : trouver des ressources économiques au delà des subventions qui ont permis au projet de voir le jour.
Déclaration d’intérêt: Cédric Kalonji, dont il est largement question ici, est un ami. Nous avons collaboré à RFI pour l’Atelier des médias et nous avons imaginé ensemble Mondoblog (une plateforme pour 100 jeunes blogueurs francophones directement inspirée de son expérience). |
Créer un média en République démocratique du Congo lorsque l’on n’est ni homme d’affaires, ni homme politique tient quasiment du miracle ou du concours de circonstances. Au début des années 2000, le développement des blogs et le raccordement à internet de Kinshasa ont permis à Cédric Kalonji de se lancer dans l’aventure.
Au départ, l’étudiant en informatique se passionne pour les nouvelles technologies et il décide de frapper un jour à la porte de Radio Okapi (la radio des Nations unies dans le pays) pour y proposer une émission sur les usages du web. Il convainc et débute sur les ondes.
Un regard bienveillant sur la débrouille quotidienne des habitants du pays
Rapidement, profitant d’un accès privilégié au Net, d’un appareil-photo et d’un badge « Nations Unies » qui lui permet de se déplacer plus facilement dans ce pays grand comme quatre fois la France, Cédric Kalonji crée un blog en septembre 2005. Il y publie de courts textes et surtout des photos de la vie quotidienne; une petite révolution dans un pays où le souvenir de l’interdiction de photographier dans la rue (en vigueur sous le règne de Mobutu) reste très vivace.
Cédric Kalonji, fondateur du blog Congo Ba Leki (Journaliste & entrepreneur) from Philippe Couve on Vimeo.
Avec de bonnes photos, des textes au ton légèrement ironique mais bienveillant, Cédric Kalonji raconte les joies et malheurs quotidiens des Congolais entre débrouille et corruption ordinaire dans un pays qui sort à peine d’une guerre terrible (le conflit le plus meurtrier depuis la Seconde guerre mondiale).
Meilleur blog francophone en 2007
Repéré d’abord par la diaspora congolaise (en Europe et aux Etats-Unis), Congo Blog est ensuite sélectionné pour le titre de meilleur blog francophone de la Deutsche Welle qu’il obtient en 2007. Une récompense qui donne le coup de pouce qui manquait pour propulser Cédric Kalonji hors du Congo: il décroche une bourse pour venir étudier pendant deux ans à l’École supérieure de journalisme de Lille. Ce blog est devenu son viatique pour découvrir l’Europe.
En quittant la République démocratique du Congo en 2008, Cédric Kalonji confie son blog aux Ba Leki («petits frères» et «petites soeurs» en lingala, l’une des langues officielles du pays). Avec l’appui de l’École de journalisme de Lille et des financements de la coopération française et britannique, Congo Blog devient Congo Blog Ba Leki, autrement dit non seulement un blog collectif mais aussi une « école du blog » ouverte à 8 journalistes et 5 dessinateurs de presse disséminés à travers le pays.
Des «enveloppes» pour les journalistes lors des conférences de presse
Désormais installé en France, Cédric Kalonji assure la formation à distance des jeunes journalistes ou aspirants-journalistes qu’il a recruté via le web. Au cours de deux séjours à Kinshasa, il assure également des formations en face à face et vient distribuer les appareils-photo et les ordinateurs portables achetés dans le cadre du projet.
Rapidement, Congo Ba Leki devient un véritable média très centré sur la vie quotidienne des habitants par opposition aux médias traditionnels qui délaissent ces sujets pour des articles consacrés aux jeux politiques dans un pays où les journalistes vivent essentiellement du « coupage » (ces « enveloppes » qu’on distribue à la fin des conférences de presse pour y faire venir les journalistes et s’assurer de leur plume bienveillante).
Des journalistes bien mieux payés que dans la presse congolaise
En l’espace de quelques mois, avec 2 000 visiteurs uniques par jour en moyenne au premier semestre 2010, Congo Ba Leki est devenu un acteur important sur la scène web congolaise.
L’économie du projet permet aux journalistes d’être payés. Ils touchent une indemnité de 30 € par article (de 2 000 caractères maximum) tandis que les dessinateurs perçoivent 45 € par dessin publié. Des chiffres qui sont très largement supérieurs aux tarifs habituellement pratiqués dans la presse congolaise.
Sur deux ans, 180 000 euros ont été débloqués par la France et le Royaume Uni pour financer le projet dont la première phase est arrivée à échéance en juillet. Depuis cette date, le site est en sommeil. En France, Cédric Kalonji est à la recherche de nouveaux financements tout en développant des services qui pourront aider au financement du projet.
Plusieurs journalistes assassinés ces dernières années
La publicité (via des Google Ads) rapporte une centaine d’euros par mois. Un service de petites annonces (CongoJob) est en place depuis quelques semaines. D’autres développements sont à l’étude mais le journaliste (désormais diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille) ne veut pas en dire plus.
Congo Blog Ba Leki a développé son propre code de déontologie basé sur l’expérience acquise par Cédric Kalonji. « On ne cite pas le nom des personnes que l’on met en cause lorsque que l’on évoque des sujets comme la corruption car cela peut-être dangereux », explique le journaliste qui n’oublie pas que plusieurs de ses confrères ont été assassinés dans le pays au cours des dernières années, comme son ami Serge Maheshe.
Nouveau défi: assurer la pérennité du média
« L’idée de cette charte, que nous avons élaborée en commun au cours de l’une des sessions de formation que j’ai animée à Kinshasa, c’est d’être le plus factuel possible dans nos articles. », précise Cédric Kalonji. La charte (qui n’est pas disponible en ligne) bannit également les publi-reportages qui font l’ordinaire de tant de titres de la presse congolaise.
Cinq ans après l’apparition du premier blog de Cédric Kalonji sur le web et deux ans après sa transformation en véritable média implanté à l’échelle nationale, rien n’est joué quand à la pérennité du projet. Le renouvellement du journalisme dans le pays passe sans doute par de telles initiatives qui ne peuvent encore exister que grâce à des subventions. La construction d’une véritable assise économique prendra du temps, au Congo comme ailleurs.
Cet article est rédigé dans le cadre de la préparation du rapport « Quel est l’impact déontologique des nouveaux modèles économiques des médias ?« |
En savoir plus:
- Cédric Kalonji, guide d’avenir pour le Congo dans Courrier International
- Congo (RDC): les photo-reportages de Cédric Kalonji sur Global Voices Online
Ce type de blog est important, car il nous permet de voir un pays, de comprendre une culture, de partager, un tant soit peu, la vie, le quotidien d’autrui autrement que par le prisme déformant de nos journaux habituels.
Merci pour le commentaire. Je souscris des deux mains 😉
Cedric Kalonji c’est quelqu’un que j’appel un savant noir de la Rdcongo,il fait de choses qui nous revelent les secrets du monde de blogueurs .je recolte souvent de bonnes choses quand je regarde son blog,il est je peux dire un createur d’une decouverte de la verite sur le media congolais et Francophone.
En tant journaliste professionnel je lui dirai Cedric soyez le bienvenu dans notre monde du journalisme.
Roger Kitemoko
Ca me rappelle une conversation que j’ai il y a près de quinze ans dans une chambre universitaire avec des étudiants originaires d’Afrique de l’Ouest. Nous échangions sur des sujets à la croisée de la politique, de la sociologie, de l’économie, toujours autour de l’Afrique. Leur point de vue était vraiment original, au sens premier du terme. Alors que j’avais toujours eu une vision du monde européo-centrée (à l’école la mappemonde a pour centre l’Europe), j’étais subitement projeté dans une tout autre vision, comme si la mappemonde de mes années d’écolier bougeait devant moi pour replacer l’Afrique au centre du monde. C’était une sorte de révolution copernicienne à l’africaine :), une révolution qui, sans vous projeter dans un relativisme absolu, vous permet de prendre conscience que l’on peut percevoir le monde autrement que par sa petite lunette personnelle. Ça vous change un homme, croyez-moi. C’était à Genève dans la chambre universitaire de Théogène, un Rwandais.