La BBC au régime, elle pèse trop lourd sur le web britannique
Premier site d’information du Royaume-Uni, la BBC est un empire qui regroupe divertissements, documentaires, magazines et, bien sûr, information. Ces dernières années, elle a concentré ses efforts sur le développement numérique. Mais il semble que son succès dérange, à tel point que décision a été prise de tailler largement dans la masse.
Certaines réussites dérangent. C’est le cas de la BBC. Son succès dans le domaine de l’internet est tel qu’elle déséquilibre l’ensemble du web britannique par la place immense qu’elle est parvenue à occuper en l’espace d’une douzaine d’années. C’est en tout cas le reproche que lui font les libéraux aiguillonnés par les sites « commerciaux » qui peinent à suivre la cadence numérique imposée par la vénérable beeb, comme on la surnomme.
S’étonnant de cette réussite en 2006, le très libéral Financial Times se demandait comment une « entreprise bureaucratique financée par l’Etat et vieille de 80 ans » était parvenue à se hisser au premier rang des entreprises européennes du secteur de la communication et des nouvelles technologies dépassant de loin en audience, en innovation et en qualité les groupes privés les plus puissants et les start-ups les plus prometteuses.
Pour comprendre, il faut se plonger dans les méandres du groupe public. BBC Online, la branche qui regroupe les activités internet de la British Broadcasting Corporation, est en réalité une mosaïque de sites dont il est difficile d’identifier les contours. Outre BBC News Online, le site d’information déjà gargantuesque, bbc.co.uk regroupe une importante section destinée à un public d’enfants ou d’adolescents (CBBC’s, Cbeebies, Primary bitesize, BBC Blast …). Ces « sous-sites » servent à prolonger les émissions diffusées sur les chaînes hertziennes de la BBC et se veulent de caractère éducatif.
Plus classiquement, la section BBC Programmes dispose d’une page par émission ou magazine produit par BBC TV ou BBC Radio et enfin, le BBC iPlayer permet de voir ou d’écouter tous les programmes diffusés par le groupe dans un délai de sept jours.
A titre de comparaison, on peut imaginer que BBC Online équivaut à ce qui ressortirait d’une fusion entre les sites de France Télévision, ceux de Radio France, de RFI et de France24. Sauf que les Britanniques ont clairement une longueur d’avance sur leurs homologues des médias publics français. Les moyens en plus.
Des budgets colossaux
BBC Online a atteint 199,3 millions de livres sterling pour l’année 2009/2010, contre 177,2 millions de livres en 2009, soit un peu plus de 4% du budget total du groupe (4,8 milliards de livres). Mais ce n’est pas tout. BBC News Online, le site d’information qui génère le plus fort trafic du portail internet, ne fait pas partie de BBC Online. Il est alimenté par BBC News, une « newsroom » géante qui regroupe toutes les activités journalistiques du groupe pour ses trois différents médias : TV, radio et internet. Le budget de BBC News n’est pas publié en tant que tel, mais pour l’année 2004/2005, Helen Boaden, la directrice de la division annonçait déjà le chiffre impressionnant de 350 millions de livres sterling par an.
La puissance de feu de la BBC sur internet est bien évidemment sans commune mesure dans le paysage médiatique. Le succès de bbc.co.uk n’a donc pas fait que des heureux, à commencer par les membres de la British Internet Publisher Association, les éditeurs de la presse internet « commerciale » outre-Manche, qui ont accusé la BBC de concurrence déloyale. En novembre 2003, la ministre de la Culture, des Médias et du Sport de l’époque, Tessa Jowell, a commandé un rapport sur le poids de la BBC dans le paysage internet du Royaume-Uni à Philip Graf, un professionnel des médias.
Une cure d’amaigrissement conseillée de longue date
Publié en 2004, ce rapport a mis en avant l’impact massif qu’avait l’organisme d’État dans l’industrie médiatique britannique, tout en notant ostensiblement la qualité de ses contenus. Il a relevé que certains sites du groupe, notamment des sites de jeux n’étaient pas assez distincts des alternatives commerciales présentes sur le web. Il recommandait à la BBC de supprimer 25% de ses contenus en ligne et de se recentrer sur ses « missions de service public » que sont l’information et les programmes pour enfants.
En réponse à ce rapport, la BBC a annoncé la fermeture de certaines sections du site, notamment la très populaire « Soaps » qui traitait de soap opera. Un an plus tard, le “sous-site” Cult TV a lui aussi été abandonné. Il proposait également des « bonus » concernant des séries télévisées, principalement américaines.
La « fin de l’ère d’expansion » est annoncée
Les changements opérés par la direction n’ont cependant pas fait taire toutes les critiques et en début d’année 2010, la BBC a cette fois clairement annoncé la fin « fin de son ère d’expansion » sur internet. Deux stations diffusées sur internet, dont la musicale 6 Music devraient prochainement être réduites au silence et la liste des programmes achetés aux Etats-Unis va se voir sérieusement diminuée. Du côté d’internet, le groupe public a décidé d’une baisse de 25% des effectifs de BBC Online et de la réduction de 25% de ses dépenses et de moitié de ses contenus.
Plus encore que dans les secteurs de la télévision et de la radio, le poids de la BBC sur internet est disproportionné. Le site du Guardian, l’un de ses principaux « concurrents » avec tout de même 34 millions de visiteurs uniques mensuels (chiffre d’août 2010), est ainsi loin derrière les presque 120 millions de visiteurs uniques qui se rendent sur bbc.co.uk chaque mois.
Pour le site BBC News Online, les estimations varient entre 14 millions et 16 millions de visiteurs uniques par semaine (chiffres : rapport d’activité 2010). Que ce soit du point de vue de l’image ou des moyens de financement, la BBC dispose d’avantages incomparables. Son indépendance vis-à-vis des annonceurs lui confère une réputation quasi irréprochable en matière de déontologie et d’objectivité. D’un point de vue financier, 70% de son budget est assuré par la licence fee, la taxe audiovisuelle britannique (145 livres sterling par an et par foyer), qui lui rapporte environ 3,5 milliards de livres par an. La BBC bénéficie également de subventions de l’État britannique, à hauteur d’environ 6% de son budget.
Un pourvoyeur de trafic pour ses concurrents
Cette position de force est évidemment une conséquence des statuts de l’organisme. Mais comment l’État britannique peut-il justifier que sa création, financée par les contribuables, mette en danger l’équilibre de tout un secteur économique, celui de l’information sur internet ?
Pour contrebalancer ce déséquilibre, une décision pour le moins inattendue a été prise : la BBC doit augmenter de manière significative le nombre des liens internet pointant vers d’autres sites d’information afin de les aider à accroitre leur trafic. Concrètement, les journalistes produisant des articles pour le site BBC News Online ont été encouragés à augmenter les références à d’autres articles, publiés par des sites d’information britanniques.
Une autre décision concerne la syndication de contenus : « un partenariat entre la BBC et les principaux sites d’information du pays a été créé. Ces derniers peuvent désormais avoir librement accès à certains contenus vidéo et audio de la BBC, pour enrichir leurs propres articles sur le web », explique Steve Herrmann, l’éditeur du site internet BBC News. La BBC s’est en quelque sorte retrouvée transformée en agence de presse bénévole pour les médias britanniques. Le rôle de « régulateur » d’un secteur en difficulté (celui des médias commerciaux) a été en quelque sorte ajouté à la mission de service public de la BBC.
Cet article est rédigé dans le cadre de la préparation du rapport « Quel est l’impact déontologique des nouveaux modèles économiques des médias ?« |
Pour en savoir plus:
- Le rapport annuel de la BBC examine la manière dont l’argent public a été dépensé (disponible également en version très synthétique)
Des visiteurs de news.bbc.co.uk, combien sont étrangers? J’ai tendance à croire qu’ils ne sont négligeables.
Les coupures ne devrait pas affecter le site News ou Sports… Ceci dit, la nouvelle page d’accueil est beaucoup moins rafraichie que l’ancienne. Frustrant pour l’accro que je suis.
@Kim,
En 2007, plus de la moitié des visiteurs étaient à l’étranger (« More than half the users of the news site are outside the UK » / source: http://news.bbc.co.uk/2/hi/business/7050625.stm ). Je n’ai pas de chiffre plus récent mais ça doit bien pouvoir se trouver quelque part.
j’ai cherché aussi, mais j’ai pas trouvé. Merci pour la piste!