Revue XXI : un pari réussi sur la « valeur » du journalisme de récit

Au départ, c’est un rêve de journaliste : un média qui ne proposerait que de longs reportages sur des sujets qui ne font pas nécessairement la une de l’actualité. A l’arrivée, c’est l’une des réussites les plus inattendues de la presse française.

Patrick de Saint-Exupéry, co-fondateur et directeur éditorial de XXI (Photo: Philippe Brizard via Wikimedia)

A première vue, il est assez difficile de définir l’objet XXI. Pour ce qui est du contenu, c’est du reportage en texte, en photos ou en bandes dessinées. Pour le reste, le mot « revue » s’est finalement installé en dépit des réticences initiales d’une partie de l’équipe fondatrice.

En termes techniques, on parle d’un « mook », à mi-chemin entre le magazine et le book (livre). « Magazine » pour la périodicité (trimestrielle) et « book » pour le format, le prix (15 €) et la vente en librairie. Si XXI n’est pas l’inventeur d’un genre né au Japon, c’est la revue qui a véritablement popularisé le concept en France.

Un projet éditorial radical

Et pourtant, le projet d’origine n’était pas exactement celui-là. Deux moments-clefs ont marqué la naissance de la revue XXI. Le premier lorsque les fondateurs (Patrick de Saint-Exupéry et Laurent Beccaria) ont décidé de renoncer à lancer un mensuel dans des kiosques déjà sur-encombrés. Il leur aurait fallu en vendre 100 000 exemplaires pour atteindre l’équilibre financier en tablant sur une dizaine de pages de publicité par numéro. XXI sera donc un trimestriel sans pub distribué en librairie.

La seconde décision stratégique découle de la première. XXI devra se faire remarquer sur les tables des libraires —et non dans les présentoirs des kiosques. Pour cette raison, la couverture sera « à l’italienne », autrement dit horizontale.

Le projet éditorial n’est pas moins radical. Il repose sur l’expérience et les convictions acquises par Patrick de Saint-Exupéry. L’ancien grand reporter du Figaro devenu co-fondateur et directeur éditorial de XXI constate qu’il est devenu difficile voire impossible de trouver de la place pour publier de vrais et longs reportages dans la presse.

Quelques unes des dernières couvertures de la revue XXI


« J’avais la conviction qu’il existait une demande chez les lecteurs pour du récit et que les logiques gestionnaires qui ont cours dans les rédactions conduisaient seulement à publier des articles de plus en plus courts », raconte Patrick de Saint-Exupéry. Au fil des ans, il se souvient d’avoir vu la notion de « marque » l’emporter sur celle de titre de presse; l’idée d’un lecteur glisser progressivement vers celle d’un « consommateur »; et les articles devenir des « contenus ».

Ne rien céder sur la valeur

Pour un journaliste, écrire court, c’est écrire « au-dessus », explique Patrick de Saint-Exupéry. Le journaliste qui écrit une synthèse se place nécessairement « au-dessus » de l’événement et de ceux qui y prennent part et « il est alors impossible d’être dans la simple restitution de l’histoire que le journaliste veut raconter ».

Dernière conviction —et pas des moindres— mise en oeuvre dans le projet : ne rien céder sur la valeur du journalisme. L’exigence éditoriale s’accompagne d’une fermeté sur ce principe vis-à-vis des lecteurs. Ainsi, le prix de 15 € est certes celui qui permet de couvrir les coûts de l’entreprise, mais c’est aussi un signe de la valeur de l’objet et de son contenu lorsque les lecteurs l’ont entre les mains. Dans cette logique, les abonnés paient le même prix que les acheteurs au numéro.

« Aucun lecteur ne m’a dit que XXI était trop cher »

« Lors des réunions que nous organisons à travers la France, personne ne m’a jamais dit que XXI était trop cher », raconte Patrick de Saint-Exupéry, « en revanche, j’ai eu des discussions animées avec des abonnés qui me demandaient pourquoi ils ne bénéficiaient pas d’un tarif préférentiel. » Le directeur éditorial leur explique alors que XXI ne contient pas de publicité et qu’il ne vend donc pas l’attention de ses lecteurs à des annonceurs. « Je pense qu’il faut être convaincu de la valeur de ce que l’on fait », précise Patrick de Saint-Exupéry.

Cette conviction explique les réticences de l’équipe vis-à-vis d’internet. « J’ai une difficulté avec la logique économique qui prévaut sur internet », reconnaît le directeur éditorial de XXI. L’équipe s’est contentée de lancer un simple blog sur le web après avoir fait ses calculs : « Sur internet, la publicité couvrirait à peine 10% des coûts de création. Les auteurs seraient condamnés au bénévolat. La rémunération s’accompagne d’exigence. »

Patrick de Saint-Exupéry se souvient de l’incompréhension qui l’accueillait dans les écoles de journalisme où il est venu présenter son projet fin 2007. « Les étudiants me demandaient pourquoi lancer une revue payante alors que l’information est désormais gratuite sur le web ».

Aujourd’hui, l’équipe est convaincue que les jeunes sont nombreux parmi son lectorat. Cette conviction émane des courriers et courriels qu’elle reçoit car XXI ne fait pas d’étude dans ce domaine : « comme on n’a pas de pub, on n’a pas besoin d’études de lectorat ».

Une diffusion en augmentation régulière

Le premier numéro sort début 2008. En découvrant les premiers exemplaires, la petite équipe s’aperçoit qu’elle a tout simplement oublié de faire figurer le code-barre sur la couverture. Impossible d’envoyer la revue aux libraires. Il faudra donc coller à la main des petites étiquettes comportant le fameux code sur les 40 000 exemplaires imprimés.

Ce premier numéro sera un succès. Au total, après retirage, la diffusion dépassera les 40 000 exemplaires. C’est bien au-delà du seuil de rentabilité et cela donne à l’entreprise de quoi voir venir. Passé la curiosité du ce premier numéro, XXI démarre avec des ventes autour de 25 000 exemplaires pour augmenter ensuite régulièrement jusqu’à 45 000 exemplaires au bout de deux ans. La diffusion via le réseau des librairies a permis notamment de diminuer la part des invendus qui est passée sous la barre des 20% (contre 40 à 60% dans les kiosques).

Pour l’entreprise XXI (dont les actionnaires principaux sont les deux co-fondateurs (Patrick de Saint-Exupéry et Laurent Beccaria avec 33% des parts chacun et Antoine Gallimard avec 20%), les ventes constituent la seule et unique source de revenus. Près de 80% des ventes se font au numéro, un peu plus de 10% par abonnement et 10% dans des coffrets de Noël composés des 4 numéros de l’année.

Un modèle économique simple et rentable

Après avoir réalisé un chiffre d’affaire d’un million d’euros en 2009, XXI vise 1,3 million d’euros en 2010 avec un résultat encore une fois positif et sans que l’entreprise n’ait perçu aucune subvention. Les avantages dont elle bénéficie sont le taux de TVA réduit du monde de l’édition (fixé à 5,5% il est supérieur à celui de la presse, 2,1%) t les tarifs postaux préférentiels dont bénéficie la presse. L’entreprise est décidément à cheval sur deux mondes professionnels.

Ce modèle économique simple et rentable a permis à l’entreprise de s’épargner la recherche d’investisseurs complémentaires. Pas de nouveau tour de table contrairement à la plupart des jeunes entreprises du secteur. Bénéficiaire dès le premier numéro, la société emploie aujourd’hui 5 salariés dont trois journalistes. Pour chaque numéro, elle fait appel aux contributions d’une soixantaine d’auteurs différents.

La limpidité du modèle économique rend plus facile la gestion des questions de déontologie. Ici, pas de charte écrite, mais pas vraiment de dilemmes cornéliens : « on applique les règles évidentes et logiques issues de notre expérience », explique Patrick de Saint-Exupéry. « Notre principale règle, c’est l’honnêteté », ajoute le directeur éditorial de XXI.

Les «mooks» se multiplient

Il garde le souvenir de cette enquête sur la mort de Philippe de Dieuleveult au Congo. L’auteur de l’enquête journalistique a été mise en cause pour avoir acheté certains documents publiés dont l’un s’est révélé faux. Patrick de Saint-Exupéry a décidé lui-même de transmettre les documents à la police scientifique, ce qui a permis d’établir que l’un des documents avait été falsifié. « Cela n’invalide pas l’ensemble de l’enquête pour autant », ajoute-t-il. Quant à « l’achat » de certains documents, le grand reporter habitué de l’Afrique qu’il fut récuse l’accusation d’un revers de la main : « Ce n’est pas avec 50 dollars qu’on achète des documents comme ceux-là au Congo. Ce tarif, c’est celui de l’indemnisation du «fixer», celui qui vous aide à obtenir des rendez-vous. » Dans un numéro ultérieur de la revue, les lecteurs ont pu lire un article détaillant ces nouveaux éléments.

Bientôt trois ans après sa création, la revue XXI semble avoir trouvé son rythme de croisière. Et elle a même fait école. Pas tant dans son propos éditorial —le reportage— que dans son format et son modèle économique. Aujourd’hui, les projets de « mooks » se multiplient à tel point qu’il est prévu de mettre en place des coins « mook » (mook corners) dans certaines librairies.

Cet article est rédigé dans le cadre de la préparation du rapport « Quel est l’impact déontologique des nouveaux modèles économiques des médias ?«