Spot.us : réinventer le financement du journalisme

Spot.us (littéralement « remarquez-nous ») est né des idées de David Cohn, un jeune journaliste ayant participé aux premières expériences de crowdsourcing avec Jay Rosen, et des fonds du Knight News Challenge, qui accorda 340 000 dollars au projet en 2008. Le site jouit d’une popularité peu commune, lancée en partie par un article du New York Times en août 2008.

David Cohn (Photo: cvconnel via Flickr)

Le site Spot.us permet aux journalistes indépendants qui le souhaitent de proposer un article qu’ils veulent réaliser. Ils y listent leurs besoins et demandent au public de bien vouloir les financer. L’interface doit permettre aux communautés de s’organiser pour financer les enquêtes que les médias traditionnels ne peuvent plus se permettre. La réalisation la plus impressionnante reste une enquête sur l’archipel de déchets du Pacifique nord parue en 2009 au terme d’une collecte de 6 000 dollars auprès des internautes.

Aujourd’hui, après s’être donné comme but de permettre le « community-powered journalism », le site a-t-il atteint son objectif ? La communauté peut-elle réellement financer les journalistes ? En retour, les journalistes payés directement par leurs lecteurs ne tombent-ils pas dans le populisme souvent observé chez ceux payés au clic, par exemple ?

2 ans d’activité, 2000 pages vues par jour

Même si le trafic sur le site n’est en aucun cas une mesure de succès (« c’est presque une distraction », selon David Cohn), une audience de 2 000 pages vues par jour reste comparable à un blog de taille moyenne. David Cohn se considère plutôt comme une plateforme de média, au croisement des journalistes et des éditeurs de presse.

Si l’on en juge par les articles présentés sur le site, environ 96 articles ont été publiés. Selon les identifiants uniques attribués aux articles, cela signifie qu’environ 16% des propositions reçoivent le soutien nécessaire pour que le journaliste commence son enquête. Si une proposition est quasiment financée, Spot.us peut intervenir et apporter la somme restante avec ses propres fonds. David Cohn se refuse à donner un objectif pour le futur, si ce n’est qu’il aimerait voir des « milliards » d’articles publiés par Spot.us.

La communauté, elle, compte 2000 membres. Selon Tanja Aitamurto, spécialiste du crowdfunding, la plupart des internautes ne vient sur le site qu’une fois et s’en désengage après avoir donné. Difficile de déterminer si la communauté finance les articles dont elle pense avoir besoin ou si des individus utilisent Spot.us pour se racheter une conscience, à la manière d’une aumône au journalisme.

Le site ne compte pas de journalistes à proprement parler, mais deux éditeurs chapeautés par David. Ils sont chargés de relire les articles et de maintenir un lien avec les journalistes et la communauté. « Comme tout rédacteur en chef », David Cohn discute avec les journalistes avant qu’ils ne commencent leurs articles. Cette implication directe sur l’éditorial permet de conserver une dimension réellement journalistique qui différencie le site d’une simple interface de mise en relation. Les auteurs, quant à eux, ne tirent jamais l’essentiel de leurs revenus de Spot.us. C’est un complément et n’a pas vocation à devenir une activité à plein temps.

Un modèle d’affaire « exotique »

Les revenus de Spot.us se divisent en 3 tiers quasiment égaux, d’après David Cohn -qui se refuse tout de même à publier ses comptes. Les dons des utilisateurs, la publicité et le mécénat participent, à parts égales, au financement du site.

  • Dons des utilisateurs : Lorsqu’un utilisateur donne pour financer la réalisation d’un article, il a la possibilité de soutenir financièrement Spot.Us.
  • Mécénat : En plus du soutien de la Knight Foundation, quelques donateurs privés aident le projet, mais pas d’une manière significative, restant en dessous de $10.000 chacun.
  • Publicité : Le site ne propose pas de  publicité à la manière où on l’entend traditionnellement (display et AdWords). Depuis juillet, les annonceurs peuvent néanmoins proposer des sondages aux utilisateurs à des fins de marketing. A l’issue du sondage (qui ne doit pas durer plus de 5 minutes), l’utilisateur reçoit 5 dollars à dépenser pour financer un article parmi ceux sélectionnés par l’annonceur. Le premier mois, cette piste a permis de distribuer 3 000 dollars aux journalistes.

Le modèle économique inclut également les médias traditionnels, qui font, en un sens, également partie de la « communauté » dont parle David. Si un média contribue au financement d’un article, il gagne le droit de le publier. S’il participe à hauteur de 50%, il gagne un droit exclusif sur les contenus. Le site présente ainsi une centaine d’organisations, la plupart des médias, qui contribuent au financement des enquêtes.

« La transparence justifie tous les modèles d’affaire »

Pour David, on peut tout se permettre tant que ça reste transparent. Il applique cette devise à son modèle d’affaire, puisque l’on peut consulter la liste des donateurs, mais également aux articles publiés sur le site. Tout reporter peut et est encouragé à publier un maximum d’informations sur l’avancement des projets d’articles. Il ne pose sa limite qu’aux aspects pouvant potentiellement mettre en danger certaines personnes. Il cite l’exemple d’une enquête sur la mafia, où la transparence totale ne serait pas possible.

Même si le site n’a pas de charte de déontologie à proprement parler, il dispose de conditions d’utilisations pour les reporters. Elles ne couvrent pas tous les aspects éthiques que l’on peut retrouver dans un texte traditionnel. Les problèmes sont résolus au cas par cas par David.

Il prend l’exemple d’un conseiller municipal ayant donné 20 dollars pour une enquête sur les activités de la mairie. Il a été obligé de reprendre ça contribution. David en a profité pour ériger cette règle: toute partie prenante à un article ne peut le financer.

« La seule chose que l’on puisse faire c’est d’être le plus transparent possible. Spot.us élève la transparence à un autre niveau », affirme David, qui explique que si quelqu’un venait à se plaindre, il pourrait se justifier en disant qu’il ne cache rien.

Cet article est rédigé dans le cadre de la préparation du rapport « Quel est l’impact déontologique des nouveaux modèles économiques des médias ?«