Mediapart : le pari de l’enquête et de l’abonnement

Placé sur le devant de la scène depuis ses révélations dans l’affaire Woerth-Bettencourt, Mediapart développe un modèle économique original pour un média en ligne en refusant la publicité et en s’appuyant sur des abonnements. Le titre fait le pari que sa force de proposition éditoriale avec 25 journalistes lui permettra d’atteindre ses objectifs économiques. Ce qui n’empêche pas son fondateur, Edwy Plenel, d’appeler de ses vœux la création d’un statut de société de presse à but non lucratif

Mediapart se définit comme un « journal numérique participatif de qualité ». Edwy Plenel, son fondateur, le présente également comme un « laboratoire de recherche et un atelier de création » dans le domaine du journalisme en ligne. Un laboratoire pour tenter de trouver la formule qui permet de « créer des médias indépendants de qualité sans mécène et sans subvention ».

Pour y parvenir, l’équipe « teste des intuitions ». Première de ces intuitions : il faut rétablir un principe de valeur dans les médias. Edwy Plenel oppose les médias gratuits contraints de courir après l’audience en s’appuyant sur le divertissement (et de citer les exemples de la télévision et de la radio) aux médias payants qui doivent « seulement » satisfaire leurs clients et peuvent se concentrer sur l’information.

Cette réflexion sur la valeur débouche in fine sur la question du prix à payer par l’internaute. Chez Mediapart, c’est 9 € par mois ou 90 € par an pour un abonnement plein tarif (5 € mensuels ou 50 € par an pour les étudiants et les chômeurs). Il existe également un abonnement découverte à 1 € pour 15 jours.

42 000 abonnés : forte hausse depuis « l’affaire Woerth-Bettencourt »

En octobre 2010, le site revendique 42 000 abonnés dont 20% ont souscrit un abonnement annuel. Des chiffres dopés depuis le printemps par la succession de révélations publiées par Mediapart concernant « l’affaire Woerth-Bettencourt » qui est devenue emblématique du travail d’investigation mené par la rédaction.

Edwy Plenel, fondateur de Mediapart

Une fois abonnés, les internautes peuvent poster des commentaires sur les articles mais aussi créer et alimenter des blogs dans la partie « club » du site, contribuant ainsi à enrichir l’offre éditoriale. D’autant plus que leurs contenus sont en accès libre, contrairement aux articles des journalistes réservés, eux, aux seuls abonnés.

Au lancement du site en 2008, l’ancien directeur de la rédaction du Monde était apparu esseulé avec son credo d’une information nécessairement payante sur le web. A l’époque, la conviction la plus répandue assurait qu’il était impossible de faire payer l’internaute pour de l’information. Deux ans plus tard, ces chiffres ont un premier goût de revanche pour Edwy Plenel qui observe également les nombreuses expérimentations payantes en cours dans le monde des médias en ligne.

L’entreprise Mediapart reste déficitaire pour le moment mais elle vise l’équilibre sinon la rentabilité pour 2013. En effet, c’est au début 2014, sur la base des chiffres de 2013, que le pacte d’actionnaires – conclu à la création de l’entreprise – prendra fin. A cette date, le président de Mediapart espère « pouvoir récompenser ceux qui nous ont soutenus» .

A la découverte des techniques marketing

Le seuil de rentabilité, Edwy Plenel, le situe à hauteur de 55 000 abonnés. Et il s’affiche confiant : « depuis la création de Mediapart, il n’y a pas eu un seul jour – samedis et dimanches compris – où le solde abonnements/désabonnements a été négatif ; notre public n’a cessé de croître ». Autre signe positif aux yeux du fondateur : 80% des abonnés annuels renouvellent leur engagement.

Si les abonnements font l’objet d’autant d’attention, c’est qu’ils représentent 95% des ressources (il n’y a pas de publicité sur Mediapart). S’y ajoutent les recettes des livres publiés par la rédaction et la revente de certains contenus à des agrégateurs comme le portail Orange.

Ce poids des abonnements a conduit l’équipe a découvrir les recettes du marketing pour recruter de nouveaux clients. Un bon fichier de prospects est d’abord nécessaire. Chez Mediapart, on se sert pour cela du fichier des anciens abonnés, de celui des internautes qui ont participé à des opérations promotionnelles et enfin du fichier des signataires des différentes pétitions lancées par le site. Au total, ce sont entre 70 000 et 80 000 adresses dont dispose l’entreprise.

33 salariés dont 25 journalistes et une masse salariale de 2,5 millions d’euros

Convaincu de disposer d’une marge de progression en terme d’abonnements auprès de ce public, Edwy Plenel a décidé d’adresser désormais une newsletter par semaine à ces prospects (contre 2 par mois auparavant). Et sur les conseils de professionnels des sites de rencontre et de charme, Mediapart a transformé son offre découverte. Elle était gratuite, elle coûte maintenant un euro pour 15 jours d’abonnement. « Et ça marche », constate Edwy Plenel avec une satisfaction teintée d’incrédulité.

Aujourd’hui, l’entreprise emploie 33 salariés dont 25 journalistes. C’est la principale charge d’exploitation avec 2,5 millions d’euros annuels pour payer les salaires. La masse salariale représente 70% des charges de l’entreprise qui s’élèvent au total à 3,5 millions d’euros.

Du point de vue de la déontologie, Mediapart affiche ses valeurs. Les statuts de l’entreprise font référence à la charte de Munich. Quant à la charte éditoriale, elle définit les règles applicables dans la partie communautaire du site et est disponible en ligne. Mais Edwy Plenel voudrait aller plus loin. Il prône la création d’un statut particulier pour les médias d’information qui serait « géré » par une fondation ou une société de presse qu’il voudrait voir émerger dans le cadre d’une loi globale sur la liberté de l’information.

Inventer le statut de société de presse à but non lucratif

L’idée centrale défendue par le fondateur de Mediapart est « la légitimité démocratique du journalisme » qui en fait une activité économique spécifique. Le journalisme devrait pouvoir s’épanouir au sein de sociétés de presse à but non lucratif. Ces sociétés de presse pourraient bénéficier d’avantages (fiscaux notamment) qui remplaceraient les subventions actuellement déversées sur le secteur de la presse. « Il vaut mieux créer un terreau fertile que de remettre sans cesse de l’engrais », explique Edwy Plenel qui devient intarissable sur le sujet.

« L’Islande vient de se doter d’une loi sur la liberté de l’information. Pourquoi pas nous ? », interroge le patron de Mediapart avant d’énumérer les composantes de cette loi qu’il appelle de ses voeux :

  • une version française du Freedom of Information Act américain (existe également au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves) qui impose aux organismes d’État de transmettre les informations dont ils disposent ;
  • une disposition concernant les conflits d’intérêt et interdisant par exemple la possession de médias aux entreprises vivant de contrats publics ;
  • un texte garantissant l’indépendance du service public ;
  • un renforcement de la protection du secret des sources ;
  • le statut des sociétés de presse à but non lucratif ;
  • une charte des droits et devoirs des journalistes ;
  • une liste des droits et devoirs des citoyens.

Avant le rendez-vous avec ses actionnaires en 2014, Edwy Plenel veut manifestement prendre rendez-vous avec les candidats à la prochaine élection présidentielle de 2012.

Cet article est rédigé dans le cadre de la préparation du rapport « Quel est l’impact déontologique des nouveaux modèles économiques des médias ? » Ce rapport sera présenté mercredi 17 novembre 2010 à l’occasion des Assises du journalisme à Strasbourg.