Terra éco : avant tout responsable

Terra éco est un bimédia (mensuel papier + quotidien en ligne) centré sur les questions de développement durable. Depuis 6 ans, l’équipe installée à Nantes développe méthodiquement un média et, parallèlement, une entreprise qui se trouve aujourd’hui au coeur d’un écosystème de sociétés intervenant dans le domaine du développement durable. Pour son patron, Walter Bouvais, les questions de déontologie sont un sujet central.

Chiffres clefs

  • 1 site web (300 000 visiteurs uniques par mois)
  • 1 magazine mensuel (60 000 exemplaires diffusés par mois)
  • Chiffre d’affaire 2010 (prévisionnel): 1 500 000 €
  • 17 salariés en CDI + 70 pigistes

Walter Bouvais, 37 ans, est un défricheur. Pas sûr pourtant que le qualificatif plairait au patron de Terra éco qui présente son entreprise comme « le bi-média francophone du développement durable », mais c’est le cas. L’aventure de Terra éco défriche de nouveaux territoires dans l’univers des médias.

Au départ, Terra économica (c’est l’appellation d’origine) démarre sur le web en janvier 2004 à Nantes. Sans locaux, sans argent, les fondateurs viennent d’être licenciés de Transfert.net (après la déconfiture du premier bimédia de la presse française). Leur projet : développer une offre d’information qui permette d’éclairer les enjeux économiques à la lumière de la problématique du développement durable. Sans moyens, il s’appuient sur un réseau de bénévoles. A l’époque, le sujet n’intéresse que les spécialistes et le réchauffement climatique ne fait pas encore la une.

Quelques mois plus tard, les fondateurs, Walter Bouvais, Grégory Fabre et David Solon décident – après un temps de réflexion – de s’organiser en véritable entreprise de presse et commencent par solliciter le soutien de leurs proches. Bilan : 400 000 € pour démarrer. Nouveau départ pour le bimédia qui est alors vendu exclusivement sur abonnement dans sa version papier. C’est le temps de la structuration et de la professionnalisation. Désormais, les contributeurs sont des professionnels rétribués.

60 000 exemplaires diffusés chaque mois et 300 000 visteurs uniques sur le web

Une nouvelle étape est franchie début 2009 avec l’arrivée en kiosque du mensuel Terra éco et la mise en oeuvre d’un véritable quotidien électronique sur le web dont la ligne éditoriale commune privilégie les angles pédagogiques (souvent décalés) sur les questions de développement durable, qui sont désormais au coeur de l’actualité dans le sillage de la conférence de Copenhague sur le réchauffement climatique. Le mensuel diffuse à 60 000 exemplaires chaque mois (chiffres été 2010) tandis que le site web affiche une fréquentation de 300 000 visiteurs uniques mensuels.

Interview de Walter Bouvais (juin 2010)

Walter Bouvais, fondateur de Terra eco (journaliste & entrepreneur) from Philippe Couve on Vimeo.

Capitalisée aujourd’hui à hauteur de 192 000 €, la société reste majoritairement la propriété de ses fondateurs et de leur famille. A l’occasion d’un tour de table bouclé en 2009, des investisseurs comme Thierry Wilhelm (également actionnaire de Mediapart) ou Eric Eustache (capital risqueur) et quelques autres personnes viennent rejoindre le rang des actionnaires.

David Solon, Grégory Fabre, Karen Bastien et Walter Bouvais : l'équipe des fondateurs de Terra éco

Désormais Terra éco emploie 17 salariés permanents (dont 6 journalistes) et quelque 70 pigistes. L’entreprise devrait générer un chiffre d’affaires de 1,5 million d’euros en 2010. Une activité qui repose à 80% sur l’activité de média avec des recettes d’abonnement, de vente en kiosque et de publicité (à hauteur de 20% de l’ensemble). Pour le reste, l’entreprise a opéré une diversification de ses activités autour de la thématique du développement durable en se lançant dans la production audiovisuelle (série de dessins animés « les apprentis z’écolos »), l’animation de conférences et débats, la conception d’expositions et l’organisation de sessions de formation.

Un souci tatillon de la séparation des activités

Une multiplication des activités qui n’est pas sans risque. Walter Bouvais affiche un souci tatillon de la séparation entre le travail journalistique et le reste des activités de Terra éco en cette période où le greenwashing (on parle aussi d’écoblanchiment) est devenu une pratique courante pour des entreprises qui cherchent à se donner un vernis écologique. Le « vert » est devenu un argument marketing dans un nombre croissant de secteurs d’activité.

Plusieurs décisions ont été prises pour limiter la porosité entre les différentes activités. Dans le domaine de la publicité, les commerciaux de Terra éco ne connaissent que la thématique principal des magazines à paraître sans avoir une vision du « chemin de fer » détaillé. « On est dans une position où Terra éco est une référence », explique le jeune patron, « on peut donc se permettre d’imposer un certain nombre d’exigences aux annonceurs ». Ces derniers ignorent donc le contenu éditorial à côté duquel va apparaître leur publicité et ils doivent de surcroît parapher une charte éthique. Ce texte les engage notamment à diffuser des messages publicitaires « sincères » et à « respecter l’indépendance de la rédaction ».

Si Terra éco diffuse parfois des publicités textuelles ou des publi-reportages, ils sont clairement présentés comme tels et l’entreprise n’autorise pas les annonceurs à utiliser les éléments de son code graphique et typographique qui seraient de nature à instaurer la confusion entre contenu rédactionnel et publicitaire. « Moi, je suis en situation de conflit d’intérêt permanent, mais c’est mon rôle », commente Walter Bouvais. « Je dois protéger la rédaction, y compris d’elle-même et d’une éventuelle auto-censure, tout en permettant aux commerciaux de travailler », précise le président de Terra éco .

« Sommes-nous écologiquement incorrects ? »

Membre fondateur du Spiil (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne), Terra éco se réfère – comme les autres membres – à la Charte de Munich des droits et devoirs des journalistes en ce qui concerne les principes déontologiques qui gouvernent sa pratique.

Autre source de conflit d’intérêt potentiel : la société de conseil Terra 21 dans laquelle Terra éco a une participation capitalistique depuis septembre 2008. Là encore, l’équipe s’applique à tenir la bonne distance. Les clients de la société de conseil sont avertis qu’ils ne disposent d’aucun droit sur les contenus diffusés par Terra éco sur son site ou dans le magazine mensuel. Il en va de même avec la société Terra academy qui s’est lancée dans le domaine de la formation en ligne aux compétences liées au développement durable. Au final, c’est un véritable écosystème qui est en train de se créer autour de Terra éco à Nantes.

Investie dans la promotion et la diffusion des bonnes pratiques liées au développement durable, l’entreprise ne pouvait faire moins que de s’appliquer à elle-même les conseils qu’elle prodigue aux autres. « Sommes-nous écologiquement incorrects ? », s‘interrogeait la rédaction en septembre 2009 en reconnaissant que la publication d’un magazine imprimé sur du papier (certes choisi avec soin) n’était pas forcément la solution la plus inoffensive pour la planète mais la seule économiquement viable.

Cet article est rédigé dans le cadre de la préparation du rapport « Quel est l’impact déontologique des nouveaux modèles économiques des médias ?«