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Débat

Adriano Farano (cofondateur de cafebabel.com et consultant médias): journaliste ou entrepreneur ? [vidéo]

Il paraît qu’Adriano Farano est italien. C’est sans doute vrai. Il est aussi et peut-être avant tout européen.

A Strasbourg en 2001, jeune étudiant en année Erasmus, il décide de monter avec une bande de copains ce qui deviendra le premier magazine participatif en ligne européen présent sur le web en 6 langues: cafebabel.com.

Neuf ans plus tard, Adriano Farano décide de vivre de nouvelles aventures professionnelles. Il quitte Café Babel, devient consultant médias, participe à l’aventure d’Owni et finalement décroche une bourse d’étude pour aller passer un an dans la Silicon Valley dans le cadre du programme Knight Fellowship for international journalists. Son sujet d’étude sera: comment favoriser l’émergence en Europe d’une nouvelle génération d’entrepreneur dans le secteur des médias.

Avant de prendre l’avion pour s’installer en Californie avec sa famille, Adriano Farano m’a expliqué dans quel état d’esprit et avec quelle vision de la question des journalistes-entrepreneurs, il partait. Ses réponses en vidéo.

Adriano Farano, cofondateur de cafebabel.com et consultant (journaliste & entrepreneur) from Philippe Couve on Vimeo.

Journalistes-entrepreneurs : les Anglais sans complexes

[Cet article est proposé par Marion Senant, jeune journaliste française installée à Londres.]

"Send Journalists To Report The Truth" (Photo: bthomso via Flickr)

Dire que monter sa société  en Angleterre est bien plus facile qu’en France, c’est un peu enfoncer des portes ouvertes. Des démarches administratives ultra-simplifiées et surtout un système qui ne requiert quasiment aucune mise de fonds initiale font de ce pays un paradis pour entrepreneur, comparé à la France.

Mais au-delà de ces questions « logistiques », l’esprit d’entreprise britannique crée un climat beaucoup plus favorable aux entrepreneurs et les journalistes outre-Manche ne s’y sont pas trompés. A Londres, les forums, conférences et réunions sur ce thème se multiplient et, à chaque fois que je m’y rends, je suis saisie par l’énergie, l’optimisme et la créativité dont fait preuve toute une génération de jeunes journalistes.

Décomplexé et « bankable »

Plutôt que de pleurer la « mort » de leur métier, ils ont choisi de créer une nouvelle façon d’exercer leur profession : décomplexée, innovante et surtout… « bankable ». Ne rêvons pas, il n’y a pas encore de success story à l’américaine dans le monde des médias anglais, mais des projets réfléchis et réalistes commencent à voir le jour.

Peut être est-ce dû  au fameux sens du commerce des Britanniques. Ce sont de formidables vendeurs et les journalistes que j’ai rencontré ici n’hésitent pas à se « marketer » eux même. Ils n’ont pas peur non plus de parler d’argent et ont un rapport plus simple au journalisme, considérant leur entreprise pour ce qu’elle est : un business.

Éthique personnelle et honnêteté intellectuelle

Cela n’exclut pas l’éthique et la rigueur, simplement, les journalistes britanniques qui se lancent dans l’aventure ont compris qu’il leur fallait à tout prix diversifier leurs activités. Ils n’hésitent pas à effectuer, parallèlement à leur travail journalistique, des prestations de formation, des animations de conférences ou de tables rondes, voire même, how shocking !, quelques travaux rédactionnels pour la communication.

Ensuite, tout est affaire d’éthique personnelle et d’honnêteté intellectuelle. Mais comme me l’expliquait l’un d’entre eux il y a quelques semaines : « si former des cadres sup à la prise de vue pendant quatre jours me permet de financer un reportage dans un quartier sensible de Manchester pendant un mois ou une enquête au long cours, je ne vois pas où est le problème ? Cela me permet de consacrer vraiment du temps à des sujets qui me tiennent à cœur ».

A l’heure où le bâtonnage de dépêche est en train de devenir la norme dans certains médias, on peut se demander où est la véritable éthique ? Chez le journaliste qui pompe allègrement l’AFP ou chez celui qui est capable de financer lui-même ses projets et n’a pas de compte à rendre à des annonceurs un peu trop envahissants ? Qu’en pensez-vous ?

Les journalistes veulent créer le job dont ils ont toujours rêvé

Alan D. Mutter (photo: rsjelection08 via Flickr)

Alan D. Mutter est un observateur très avisé de l’économie des médias. Dans un post récent, il essaie de comprendre pourquoi les projets montés par des journalistes ont une fâcheuse tendance à merder sur un plan économique (c’est un résumé très libre de ses propos).

Il constate que lassés des plans sociaux et autres licenciements, des journalistes de plus en plus nombreux ont décidé de prendre leur destin en main et de créer des sites d’info.

Alan D. Mutter applaudit mais il constate aussi que ces entrepreneurs ne se donnent pas toutes les chances de réussir.

« Après avoir discuté avec plusieurs journalistes-entrepreneurs, j’ai constaté qu’ils commettent presque tous la même erreur qui a provoqué l’échec de beaucoup de créateurs d’entreprise: au lieu de créer une entreprise, ils essaient de créer le job dont ils ont toujours rêvé. »

En d’autres termes, les journalistes-entrepreneurs s’occupent plus de journalisme que d’entreprise.

Pour en avoir le coeur net, Alan D. Mutter a décidé de se pencher sur le cas de trois sites d’info lancés récemment. Le premier fait de l’info locale en zone rurale; le deuxième traite l’actualité d’une ville; le troisième vise une audience nationale. Ensuite, l’auteur compare avec la performance des médias traditionnels qui existent sur les zones correspondantes. Pour effectuer les comparaisons, Mutter se base sur les données Alexa en reconnaissant toutes les limites de l’outil. Il constate que les pure players font beaucoup moins bien sur le web que les médias traditionnels.

« Quand les journalistes dans les sites pure player pensent leur activité sans routine et passent plus d’une douzaine d’heures chaque jour à traquer des infos et rédiger des articles pour leurs sites, cela ne leur laisse ni le temps ni l’énergie de réfléchir aux facteurs de réussite que sont la construction d’une audience et le développement d’une base économique saine pour de futurs développements. »

Alan D. Mutter pointe quelques phrases caractéristiques de cette situation:

  • « Nous sommes meilleurs que le journal local »
  • « Nous comptons sur les internautes pour nous faire connaître »
  • « Nous sommes soutenus par une fondation »
  • « Nous allons vendre de la publicité et trouver des sponsors »
  • « Nous attendons les contributions des internautes »
  • « Nous allons peut-être publier une newsletter payante »

Et la conclusion de Mutter tombe comme un couperet sur la « naïveté » économique de nombre de journalistes:

« Les journalistes sont tellement occupés à faire du journalisme -et, franchement, trop confiants dans le fait que la qualité de leur couverture de l’actualité sera suffisamment attirante pour capter une audience toujours plus importante- qu’ils consacrent des efforts limités dans le domaine du marketing, de la promotion et de la monétisation de leurs sites. Travailler sans un business plan digne de ce nom et espérer que ça marche est une recette bien connue pour des désastres dans ce domaine. Malheureusement, c’est ce que font beaucoup de sites d’info pure players. »

Alan D. Mutter évoque, bien entendu, la situation des États-Unis. Selon vous, en est-il de même de ce côté de l’Atlantique?

Journaliste et entrepreneur ou journaliste et entreprenant

Merci à Nicolas Voisin et Sabine Blanc d’Owni.fr pour leur invitation à venir débattre autour de la question du journalisme entrepreneurial en compagnie de Benoît Raphaël et de Sylvain Lapoix. Merci également à Pierre Meunié pour les photos.