L’information n’a jamais été un produit commercialement viable

Cet article est une traduction d’un billet publié par le Pr Robert G Picard: News has never been a commercially viable product. Qu’il soit remercié d’avoir autorisé cette traduction. Le Pr Picard est l’un des meilleurs spécialistes de l’économie des médias. Il enseigne en Suède, à New York et à Pékin.

Robert G Picard

Les discussions parmi les acteurs des médias, les chercheurs et les politiques à propos de l’avenir du secteur de l’information (news industry) en Amérique du Nord et en Europe continuent de se concentrer sur la question suivante: comment les entreprises d’information peuvent-elles perdurer au XXIe siècle? Les éditeurs continuent d’assurer que tout irait bien s’ils pouvaient ériger des murs payants autour de l’information en ligne et ils soutiennent que les gouvernements devraient leur fournir une protection juridique de sorte qu’ils puissent faire de l’information un produit numérique économiquement viable.

Leur approche est erronée et ignore cette réalité fondamentale: l’information n’a jamais été un produit commercialement viable parce que la majorité du public a été, et demeure, réticente à payer pour l’information. Par conséquent, l’information a toujours été financée par des revenus qui dépendaient de la valeur de cette information pour d’autres activités.

Historiquement, les premières opérations de collecte et de diffusion d’information ont été financées par les empereurs et les rois qui employaient leurs représentants à travers leurs royaumes pour collecter les informations et les adresser au siège du pouvoir. Les émissaires, les consuls et les ambassadeurs collectaient, de leur côté, les informations en provenance de l’étranger et en particulier des zones importantes pour le commerce ou qui étaient perçues comme des menaces potentielles pour les royaumes. Dans ce modèle de financement impérial, l’information était collectée et partagée entre représentants officiels des royaumes pour éclairer les choix des gouvernements. Le modèle de revenus était basé sur un soutien financier du souverain parce que cela servait les intérêt de son Etat.

Au Moyen âge, un modèle de financement par l’élite commerciale s’est développé. Dans ce modèle, de riches marchands ont embauché des correspondants dans les villes et les Etats avec lesquels ils commerçaient pour collecter des informations à propos des évolutions politiques et économiques en relation avec leurs affaires. Les marchands de lin, de porcelaine, d’épices ont exploité l’information pour se procurer un avantage commercial et ils gardaient l’information pour eux plutôt que de la partager avec d’autres.

Au 18e et au 19e siècle, un plus vaste modèle de financement par une élite sociale s’est développé pour soutenir les journaux qui servaient les intérêts de l’aristocratie et d’une classe de commerçants de plus en plus nombreuse. Même avec des prix apparents élevés, ce modèle économique n’était pas viable et les journaux étaient subventionnés par les revenus des activités d’imprimerie et d’autres activités commerciales ainsi que par les gouvernements, les partis politiques et des associations patronales.

Le modèle des médias de masse est apparu à la fin du 19e siècle et au 20e siècle. Ce modèle a été rendu possible par la révolution industrielle, l’urbanisation, le salariat et la vente de biens de consommation finale. Dans ce modèle, l’information est fournie aux masses à un prix bas, mais subventionné par la vente de publicité. Comme la plupart du public n’est pas intéressée par le suivi des événements au jour le jour et par l’info d’actualité (hard news), le gros du journal est consacré au sport, au divertissement, au lifestyle et à tous les dispositifs qui accroissent l’appétence du public à dépenser son argent pour le produit.

Ce modèle des médias de masse reste le modèle prédominant pour le financement de la recherche d’information et sa distribution, mais son efficacité diminue à mesure que l’audience « de masse » devient une « niche » d’audience dans les pays occidentaux avec le départ de ceux qui sont le moins intéressés par l’information d’actualité (hard news) vers la télévision, les magazines et internet. Cela crée beaucoup d’incertitude sur la manière dont la société va subventionner et payer pour le journalisme au 21e siècle.

Se concentrer sur l’information en tant que produit commercial peut apparaître futile, mais les fournisseurs d’information feraient bien de consacrer leurs efforts à créer d’autres activités commerciales qui pourront subventionner l’information. Je pense à la création d’événements, à l’éducation, à la formation, à la vente de livres, de voyages et à une variété d’activité de merchandising. Il y a un siècle, beaucoup d’éditeurs subventionnaient leur activité d’information avec ce type d’activités et certains continuent à le faire. Il est probable que les fournisseurs d’information devront s’appuyer sur une gamme plus large de flux de revenus dans le futur plutôt que de se limiter aux seuls revenus en provenance des acheteurs et de la publicité comme c’est le cas aujourd’hui.

Robert G Picard