Le fonds d’investissement qui pense que miser sur les médias indépendants c’est éthique et rentable
Un blog, ça sert à ça également. A des rencontres inattendues. Patrice Schneider (Québécois exilé en Suisse) est venu sur ce blog et m’a laissé un message pour me parler de son boulot: il est directeur du développement d’une structure qui investit dans les médias indépendants de pays où la démocratie est fragile voire inexistante. Et ça rapporte de l’argent. Comment fait-il ? C’est l’objet de ce billet de l’expliquer.
Patrice Schneider est l’un des membres de la petite équipe permanente (8 personnes) de MDLF (Media Development Loan Fund). Au départ, c’est une ONG (qui aurait dû s’appeler Media Bank) montée en 1995 dans la foulée de la chute du mur de Berlin par un ancien rédacteur en chef de B92 (la radio serbe indépendante du temps de Milosevic), Sasa Vucinic. Notre homme a croisé la route du milliardaire philanthrope George Soros qui décide de mettre 500 000 dollars dans le projet sans vraiment y croire. Le gouvernement suédois mettra la même somme à la disposition de l’ONG. Le projet peut être lancé.
L’idée de départ est simple: investir dans les médias libres et indépendants car ils sont l’un des vecteurs de la démocratie. Investir, non pas en donnant de l’argent, mais en prêtant aux entreprises de presse après étude de leur business model et après leur avoir apporté des conseils dans ce domaine.
Et ça marche. En l’espace de 15 ans, le fonds a prêté 100 millions de dollars avec un taux de retour de 97,3% (autrement dit quasiment toutes les entreprises de presse ont remboursé leur emprunt et le fonds affiche une performance supérieure à celle d’American Express sur ce point, assure Patrice Schneider). Le taux d’intérêt pratiqué par MDLF est en moyenne autour de 5%, ce qui n’est pas donné mais c’est souvent une opportunité unique pour des médias indépendants qui se voient fermer l’accès à tout concours bancaire dans leur pays. Ce sont 76 médias dans 26 pays qui ont ainsi été financés. Quelques uns sont présentés sur le site du MDLF.
En 2005, l’ONG a décidé de créer un vrai fonds d’investissement qui est allé démarcher de riches clients en leur proposant un produit financier basé sur son activité de prêt à des médias indépendants dans des pays (plus ou moins) en voie de démocratisation. Et ça marche également. Ce sont 20 millions de francs suisses qui ont été collectés et les investisseurs en quête de placements éthiques ont obtenu un rendement de 2,8% annuels pour leurs placements.
Identifier les médias qui recevront des prêts
Dans le « boulot » de MDLF, le plus difficile consiste souvent à identifier les médias éligibles aux prêts. pour cela une liste de critères a été définie. Les médias ne doivent pas défendre les intérêts d’un groupe politique, ethnique ou religieux; il doivent se référer à l’article 19 de la déclaration universelle des droits de l’homme; ils doivent accepter le contenu de l’acte final de la conférence d’Helsinki; ils doivent produire de contenu d’information générale pour une part importante de leur activité; ils doivent avoir deux ans d’existence au moins (ce qui exclut les start-ups en général).
Si MDLF agit comme un VC (Venture capitalist) ou un business angel, en revanche, l’organisation ne prend pas part au capital des entreprises qu’elle appuie [Mise à jour: cela arrive malgré tout occasionnellement, comme le précise Patrice Schneider en commentaire]. Elle se contente d’apporter des financements à des conditions abordables ainsi (et c’est sans doute aussi important) que du conseil pour la gestion de l’entreprise. Un engagement qui s’inscrit dans la durée puisque les missions s’étendent en moyenne sur 7 ans. « Cela crée une vraie famille« , assure patrice Schneider.
Aujourd’hui, le MDLF s’interroge sur le virage numérique qu’il devrait prendre mais les modèles économiques lui semblent encore bien incertains. Une expérience est en cours avec VJ Movement, un projet né au Pays-Bas pour appuyer la création d’un réseau mondial de video journalistes (VJ). Le questionnement concerne la capacité pour ces journalistes à trouver leur équilibre économique dans leur pays avec l’appui (formation, réseau) d’une petite structure installée en Europe.
Autre tournant dans l’histoire du MDLF, il s’apprête à financer un média aux Etats-Unis (et une start-up qui plus est). Il s’agit de Chicago News Cooperative fondé notamment par James O’Shea (un ancien du Chicago Tribune et du Los Angeles Times). C’est un projet d’information à but non-lucratif. Le site diffuse du journalisme d’intérêt public en partenariat avec le New York Times et une chaîne de télévision publique locale.
Si on m’avait dit en lançant ce blog que je croiserai des gens sérieux (banquiers suisses, consultants internationaux) qui savent qu’investir dans la presse dans les pays en développement peut être une bonne chose pour la démocratie et une (assez) bonne affaire financière, je ne sais pas si j’y aurai cru. Pas sûr.
[…] This post was mentioned on Twitter by couve, Catherine Ertzscheid, Serge Miranda, Claudine Girod, MARGUERITTE and others. MARGUERITTE said: RT @Cath_woman: RT @couve: Un fonds d’investissement mise sur les médias indépendants : éthique et rentable http://bit.ly/f2uQFF […]
je me demande
si l’anarchie des blogs n’est pas la solution pour que l’information circule
pourquoi des marques devraient émerger pour devenir des portes drapeaux ?
on voit bien ce que donne dans la vieille presse française
en essayant de continuer d’exister
avoir son capital contrôler par « truc machin » d’armes ou parpaings
ça n’est pas synonyme de comment dire
… ah oui, d’indépendance
donc je ne vois pas pourquoi ce fond « d’investissement »
arriverait lui, à l’impartialité nécessaire à une bonne circulation de l’information
dans ces pays en recherche de… libertés
n’est-ce pas encore une manière déguisée
de promouvoir un système à l’occidentale pour aller vite
plutôt que de laisser ces « aventures éditoriales » se développer selon les opportunités
qu’elles pourraient créer !!!
quand l’occidental arrivera à laisser le temps passer au rythme de chacun
il sera peut-être devenu un vieux blanc sage assis sous un arbre… à palabre
aller belle époque
jf le scour
ps1 : et puis quand on passe de « ong » à fond d’investissement « éthique et toc »
ça commence à devenir du « .org » dévoyé, non ?
ps2 : les grands journaux des années 50 se sont construits sur quoi au fait ?
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jf le scour
http://www.jf-le-scour.com
0033 6 63 72 33 66
La question que vous soulevez est intéressante mais se pose sans doute différemment dans les pays où la démocratie est encore un objectif et dans les nôtres. En effet, les régimes autoritaires ont compris qu’il n’est pas utile d’emprisonner les directeurs de journaux ou de faire des descentes musclées dans les rédactions. Bien souvent, le fait de « convaincre » des annonceurs de ne plus faire de pub dans un média ou de contraindre des imprimeurs à ne plus prendre en charge la fabrication d’un journal suffit à faire taire cette voix indépendante. C’est dans ce contexte que l’assistance de MDLF peut être précieuse. Pour le reste, quelle que soit la latitude, la liberté de la presse demeure un combat.
Philippe: Une correction. En fait, il arrive que dans certains cas, nous prenions part au capital de l’entreprise que nous soutenons.
p.
Merci Patrice pour la précision. Pouvez-vous indiquer dans quelles conditions vous montez au capital des entreprises ?
à Philippe Couve
donnez-moi un exemple de pays ou MDLF a investi
alors que les autorités gênaient comme vous dites les annonceurs d’annoncer…
et puis les annonceurs sont-ils incontournable ?
à Patrice Schneider
qui connait la maison : pourquoi « .org »
pour une entreprise à but comment dites-vous ?
« Et ça rapporte de l’argent. » (là c’est Philippe Couve qui écrit)
je ne crois pas que monter un « journal » en papier
ou en « 0 » et « 1 »
avec la prétention de départ de « faire de l’argent »
soit la bonne idée pour l’éthique
non ?
jf le scour
Philippe: Le soutien doit être adapté à la situation spécifique des organismes de presse indépendants que nous soutenons.
Le financement est en général des prêts mais peut parfois prendre la forme d’une participation au capital destiné par exemple à aider les entreprises avec une gestion relativement solide à poursuivre des stratégies prometteuses pour la croissance et / ou dans le cadre des efforts de privatisation.
Pour info, sur le site de l’Open Society Foundations, de George Soros (http://goo.gl/pTf6A ), on peut voir que ce dernier subventionne, par exemple, Global Voices, Ushahidi, Citizen Lab, Open street maps… Au début j’ai eu un « gloups ». Au delà, il faut reconnaître que ce sont des projets utiles à la société civile qui n’auraient certainement pas pu naître sans cet apport, mais pour lesquels la question de la pérennité reste effectivement posée. D’autant que leur modèle économique est fragilisé par l’apport de subventions qui, surtout au titre de l’innovation, peuvent s’arrêter d’une année à l’autre.
Dans ces conditions, obtenir un prêt sur le long terme me semble effectivement une solution plus pérenne pour les médias indpdts ou qui relaient la parole de la société civile. Mais le risque sera-t-il pris? D’autant qu’aujourd’hui la plupart sont tt de même plus présents sur Internet, où la censure se contourne plus facilement.